Savoir dire non

La plupart des gens me voient comme une personne déterminée, qui n'a pas peur de dire ce qu'elle pense et qui sait ce qu'elle veut, ce qui est en fait assez proche de la réalité.

Pourtant, malgré mon assurance et mon bagout, je peux me retrouver en difficulté quand il s'agit de mettre les limites à certaines personnes dans certaines situations.

En d'autres termes, j'ai encore parfois du mal à dire « NON, ça suffit, je ne suis pas d’accord »

Et oui, on pourrait penser que je gère parfaitement (après tout cela fait partie de ce que j’enseigne aux autres, non ?) mais je reconnais bien humblement qu’il m'est quelquefois difficile de formuler des phrases comme « ceci n'est pas acceptable » ou « je dois vous dire que vous outrepassez les limites ».

Je vous l’accorde « vous dépassez les bornes », ça irait aussi, mais j’aime le langage châtié…

Et puis dans certains cas, utiliser le registre soutenu dans un contexte plutôt familier ou courant peut créer un contraste très intéressant. Parce que cela va déconcerter l’autre, et interrompre le « pattern », le schéma classique. Sa réaction pourrait être le célèbre « hein » avec l’accent du Nord, ou tout au moins un air étonné…

On pourrait aussi utiliser l’humour et dire « Tu dépasses les bornes des limites, Maurice » pour rappeler une pub des années 1990 que j'adore (pour le fun : https://www.youtube.com/watch?v=Vdc52q9uFeM ) en espérant que cela fasse sourire l’autre, et qu’il ou elle comprenne.

Mais disons-le franchement les allusions et les sous-entendus ne sont pas très efficaces en communication. Tout peut être interprété de mille façons, et le message ne passera pas avec tout le monde.

Et si vous pensez que l’autre devrait le savoir (« parce que cela ne se fait pas quand même ! ») ou le deviner (« ça se voit que cela ne me plait pas »), ou encore lire dans vos pensées (il ou elle n’a pas de boule de cristal !) désolée de détruire vos illusions, mais ça ne marche pas non plus ! Les autres ont une façon de voir les choses, et ne se rendent pas toujours compte.

Il est primordial de rappeler ici que nous éduquons les autres à la façon dont ils peuvent nous traiter : si nous ne posons pas les limites, si nous les laissons faire sans protester ou rappeler nos règles, ils font ce qui leur plait, quand cela leur chante, sans s'interroger si cela est juste pour nous ou pas. Ils auraient tort de s'en priver d'ailleurs, puisque nous ne leur disons rien !

Sachant que je ne suis pas la seule dans ce cas, je m'interroge.

Pourquoi avons-nous perdu notre capacité à dire non ?

Oui, vous avez bien lu avons perdu cette aptitude. Nous savions le faire.

Elle était fortement ancrée en nous quand nous avions 2 ou 3 ans, et que chacune des injonctions parentales se heurtait à un NON catégorique de notre part !

Il faut dire que c'est eux qui avaient commencé, à nous dire et nous répéter NON lorsque nous découvrions le monde ! Ils nous expliquaient que c’était pour notre bien, pour nous maintenir en sécurité, pour nous apprendre la vie. Ce qui est vrai, tout du moins en partie.

Donc du haut de nos 2 ou 3 ans, nous avons bien enregistré le NON, et au moment où nos parents et autres tiers référents s'y attendaient le moins, nous le leur avons resservi à toutes les sauces !

Je vais prendre un exemple qui m’est cher, celui de ma fille, Laura. Quand la demoiselle avait 5 ou 6 ans, elle nous a bien renvoyé le « principe d’éducation ».

Alors son Papa insistait pour qu'elle fasse tout de même quelque chose, alors qu'elle venait de lui opposer un refus très affirmé et catégorique, elle avait rétorqué : « qu'est-ce que tu ne comprends pas dans le NON, le N, le O ou le N ? »

Cela fait partie de ces moments où on se dit qu’il ne faut pas rire, et où il est vraiment très difficile de garder un visage sérieux. Mais à l’intérieur, ce fut sans doute un de mes plus beaux éclats de rire ! Quel à propos ! Et comme c’était drôle, dit comme cela et juste au bon moment !

Cela fait aussi partie de ces moments de grande fierté de parents. En entendant cela je me suis dit « oh, c’est bien ma fille » et puis « elle ne se laissera pas marcher sur les pieds dans la vie, ouf ! »

Et je peux vous dire que cette phrase est devenue une phrase culte dans notre famille, et que nous l’utilisons encore très souvent !

Revenons-en à la difficulté que beaucoup de personnes ont à dire NON. J'y vois plusieurs raisons, mais il y en a sans doute d'autres :

Peut-être voulons nous aider l'autre, ce qui est une belle et noble idée, mais souvenez-vous du syndrome du Sauveur, dont nous avons parlé récemment (Sortir du Rôle du Sauveur)

Certes me direz-vous, si vous ne pouvez pas dire non, cela signifie qu’on vous a demandé quelque chose, ce qui était la première question à se poser : « est-ce qu’on m’a demandé de l’aide ? »

Ah ça me fait plaisir de voir que vous me suivez !

Mais ce n’est pas parce que l’on vous demande quelque chose que vous devez obligatoirement dire OUI. Parmi les questions pour éviter d’endosser le rôle du Sauveur, il y a aussi : « en avez-vous envie » ? Et ben souvent, nous disons oui très vite, sans avoir réfléchi à ce que cela implique, et nous le regrettons très vite, mais nous nous sentons obligés de faire ce que nous avons promis, « parce que ça ne se fait pas de revenir sur sa parole »


Un peu dans le même ordre d’idée, nous pensons peut-être que la personne va se sentir rejetée si nous lui disons non.

Là, c’est de la projection, nous nous imaginons ce que cela nous ferait à nous, et nous ne voulons pas infliger cela à quelqu’un d’autre. Nous oublions que dire non à une demande n'est pas rejeter celui ou celle qui l'a faite. Nous disons nous à ce que l’on nous demande, pas à la personne qui nous demande.

Ou bien nous avons peur d'être perçu comme grossier, et d'être mal vu. Et nous ne pourrions pas le supporter.

Peut-être ne voulons-nous pas nous fâcher avec l'autre alors que nous ne sommes pas d'accord, et nous disons oui, pour faire plaisir ou pour avoir la paix, ou parce que nous estimons que « le jeu n’en vaut pas la chandelle »

Peut-être avons-nous peur du conflit, et nous craignons que la personne cherche la bagarre si nous lui disons non. Ou bien qu’il ou elle décide de couper les ponts, ou nous retire son estime, son affection, son amour même, ce que nous ne voulons absolument pas perdre.

Ou encore nous craignons de perdre des opportunités, comme si le fait de dire NON allait nous fermer des portes, que ce soit professionnellement ou personnellement. Et nous ne voulons pas prendre le risque.

Bref, il y a un enjeu, nous avons peur de perdre quelque chose.

Mais à force de dire toujours OUI aux autres, ne serions-nous pas en train de nous dire NON à nous même ?

C’est nous que nous rejetons en ne disant pas ce qui ne va pas, en laissant passer des choses qui nous gênent, en ne rappelant pas les limites de ce qui est acceptable pour nous.

Je ne dis pas qu'il faut dire NON systématiquement, et ne plus jamais rendre service à personne, ou ne plus jamais écouter les autres, ce serait tomber dans l'excès inverse. Mais remettre un peu de discernement dans notre façon de répondre aux demandes me semble une bonne chose.

Prendre l'habitude de ne pas toujours dire OUI tout de suite, de prendre le temps d'y réfléchir avant, serait un bon point de départ.

Et ainsi nous pourrions retrouver un équilibre entre ce que nous faisons pour les autres et ce que nous faisons pour nous.

S'occuper des autres c'est bien, mais il s'agit aussi, voire même surtout, de savoir prendre soin de soi.

Ce qui commence par avoir des limites claires et la capacité de dire NON.

Cela peut sembler paradoxal, mais l’affirmation de soi passe par le NON. Cela n’en donnera que plus de valeurs à nos OUI.

Certes, ce n'est pas facile, mais c'est possible.

Pour ma part, j’ai bien avancé sur ce sujet. Je suis de plus en plus capable de remettre les limites à ceux qui les dépassent. Je peux dire NON quand c’est juste pour moi, sans m’énerver, sans me fâcher. Je suis de plus en plus à l’aise avec mes frontières et ma capacité à les faire respecter.

J’ai encore du travail, je le sais, mais je suis sur la bonne voie.

Et vous, savez-vous dire NON ?

Dans le prochain post, je parlerais de pourquoi nous avons du mal à dire NON.