Sortez du rôle du Sauveur : évitez le triangle dramatique

D’après les retours suite à mon post de la semaine dernière, il semble que je ne sois pas la seule à avoir endossé le rôle du Sauveur, dont je parlais la semaine dernière.

Au risque de paraître didactique, je vais vous parler aujourd’hui du triangle de Karpman, dit « dramatique » (au sens du théâtre, avec des rebondissements/coups de théâtre, et de l’agitation.)

C’est un « jeu » psychologique, pratiqué inconsciemment, qui peut se répéter tout au long de notre vie. On peut jouer trois rôles différents, tous très inconfortables :

  • On peut être Persécuteur, en tentant de s’imposer « je dois leur dire comment il faut être et comment agir »

  • On peut être Victime, se sentir impuissant et irresponsable, et espérer que quelqu'un soulagera son malaise intérieur. « Je suis si faible, il faut m’aider »

  • On peut être Sauveur, en volant au secours d'autrui pour qu'il se sente bien, même s’il ne nous a rien demandé : « les autres sont faibles, je dois les aider ! »

Le rôle de Persécuteur ou bourreau: « Tout est de ta faute ! »

  • Le Persécuteur a tendance à rabaisser les autres, à les critiquer et les juger comme stupides ou incompétents. Il condamne facilement, même s’il se dit réaliste et objectif.

  • Le Persécuteur se croit obligé d'être sévère et méchant. Il infériorise et dévalorise les autres, les blâme, leur fait la morale.

  • Le Persécuteur pense que tous les problèmes liés à la situation conflictuelle sont dus aux défauts des autres, et en particulier à celui qui se pose en Victime.

  • Il supporte bien le conflit, voir le recherche, et ne craint pas d'y entraîner les autres.

  • Le ton de voix est autoritaire et agressif, il lance des messages tels que « vous ne seriez pas dans cette situation si vous m’aviez écouté » ou « je ne veux pas vous blesser mais » ou « je vais être franc avec vous »

Le rôle de Victime : « Pauvre de moi », « Rien ne fonctionne jamais pour moi »

  • La personne qui se pose en Victime peut être un homme ou une femme. C’est une personne qui souffre bien souvent depuis longtemps, de façon réelle ou imaginaire, et ressent un sentiment d’impuissance, de désespoir.

  • La Victime se sent souvent dominée, craint d'affronter le conflit, et a du mal à dire non.

  • La Victime pense que les autres en savent plus long qu’elle, ne se sent pas appréciée.

  • Elle vit dans une pénurie d'affection, mais elle tire certains avantages de cette position : elle se plaint sans cesse et peut passer maître dans l'art de manipuler autrui en leur reprochant leur manque de cœur.

  • Elle peut devenir Persécutrice par ses récriminations, ses plaintes et ses gémissements.

  • Sa souffrance appelle un Persécuteur ou un Sauveur.

  • Son ton de voix est souvent triste et ses messages tournent autour de « après tout ce que j’ai fait pour vous » ou « je n’ai pas mérité ça » ou « je n’ai pas de chance » ou « je n’ai rien fait pour créer cette situation … » ou encore « je suis seul(e) au monde. »

  • Ou pour reprendre l’illustration ci-dessus et les propos bien connus de Caliméro : c’est injuste, c’est trop injuste (avec le petit cheveu du la langue qui fait zozoter bien sur !

Le rôle de Sauveur : « Je vais vous aider »

  • Ce rôle est souvent confondu avec la générosité.

  • Un individu devient Sauveur lorsque sa générosité n'est pas sollicitée, qu’il en fait trop, en se voyant comme une personne admirable d’altruisme.

  • Il a tendance à faire tout le travail à la place des Victimes, les rendant dépendants et passifs. Il maintient la Victime dans son rôle de Victime.

  • Il se considère comme foncièrement bon. Ce rôle est joué par des personnes qui ont un besoin excessif de reconnaissance.

  • Ses messages tournent autour de « laissez-moi vous aider » ou « racontez-moi, je peux tout entendre et tout comprendre » ou « je me charge de tout »

Les mécanismes du jeu psychologique :

  • Dans le Triangle Dramatique, on ne peut pas être tout seul : il faut être deux ou plus. Il n'y a pas de Victime s'il n'y a pas de Persécuteur, pas de Sauveur s'il n'y a pas de Victime à sauver et pas de Persécuteur s'il n'y a pas de Victime à attaquer.

  • On entre dans ce Triangle Dramatique par n'importe quel angle : soit en Victime, soit en Sauveur, soit en Persécuteur.

  • Le rôle central est tenu par la Victime.

  • Le Triangle Dramatique est alimenté par le changement de rôle : le Sauveur devient Victime s'il n'obtient pas la reconnaissance espérée, il devient le Persécuteur de la Victime qu'il a voulu sauver contre son gré et qui ne lui en est pas reconnaissante, etc.

Comment éviter d’entrer dans le triangle ?

  • Faire attention à ne pas soi-même endosser spontanément un des trois rôles.

  • Si vous avez tendance à chercher la sympathie ou le soutien des autres, soyez particulièrement attentifs à ne pas vous poser en Victime en espérant que les autres règlent vos problèmes.

  • Si vous êtes d’une nature plutôt autoritaire, que avez une idée très précise de la façon de faire les choses, faites attention à ne pas devenir Persécuteur en agressant verbalement votre entourage, même si vous jugez qu’ils ne font pas « comme il faut »

  • Et si vous pensez que vous êtes généreux et serviable, que vous aimez aider les autres, avant de vous poser en Sauveur pour rendre un service, posez-vous les questions suivantes et répondez-y honnêtement :

    • Est-ce que l'autre m’a explicitement demandé mon aide ?

    • Sinon, lui ai-je demandé s'il acceptait mon aide ?

    • Est-ce de ma responsabilité de rendre ce service ? ?

    • Est-ce dans mes compétences ? En ai-je les capacités ?

    • Ai-je les moyens pour intervenir ?

    • En ai-je envie ?

    • Est-ce que chacun va prendre part à l’effort ?

  • Toute réponse NON à une de ces questions interrompt le jeu : je me « sauve » moi-même en n’entrant pas dans le jeu. (je peux aussi me sauver en courant !!!)

Alors certes, ce n’est pas facile. Quand on a été Sauveur longtemps, c’est difficile d’interrompre les vieux « réflexes » et de ne pas retomber dans les anciennes habitudes.

Attention, je n'ai pas dit qu'arrêter d’être Sauveur signifiait devenir égoïste et ne plus s’occuper des autres.

Cela veut dire attendre que les gens sollicitent notre aide, plutôt que de vouloir à tout prix faire quelque chose pour eux alors qu’ils ne nous ont rien demandé.

En fait, pour qui le faisons-nous ce si l’autre n’a rien demandé ? Qui cherchons nous à aider ? Qui cherchons-nous à rassurer en étant dans l’action ?

Qui, sinon nous-mêmes ?

Il y a un proverbe suédois qui dit « si tu cherches une main secourable, regarde au bout de ton bras ». Pour moi cela veut dire deux choses.

Dans un premier temps « prend soin de toi, sois dans la conscience de ce que tu ressens, et occupe-toi de cela plutôt que de te jeter dans un tourbillon de choses à faire censées apporter ton aide à quelqu’un qui ne t’a rien demandé »

Et cela veut aussi dire que si vous tendez la main à quelqu’un, et que cette personne ne veut pas de votre aide, votre main est toujours « au bout de votre bras ». Vous pouvez faire quelque chose pour vous aider vous-même ou bien la tendre à quelqu’un d’autre qui la prendra.

Vous n’allez pas vous prendre votre propre main dans la figure…

En bref, apprenons à revenir à nous, à nous occuper de nous plutôt que de toujours vouloir nous occuper des autres et de tout faire pour eux. Laissons-les nous demander ce dont ils ont besoin plutôt que de tenter de deviner (au risque de se tromper d’ailleurs !) et nous verrons alors si c’est dans nos cordes et si nous avons envie de le faire.

Une vraie révolution, quoi.

Que je suis encore en train de vivre d’ailleurs. Mais j’y vois de plus en plus clair, et ça, ça n’a pas de prix.

Et vous, Sauveurs de tous pays, quand commencez-vous à vous poser les questions ?