Syndrome du Sauveur : Moi sauveur ?

Il y a quelques années, j’ai fait la connaissance d’une jeune femme coach qui rencontrait de grandes difficultés aussi bien dans sa vie personnelle que dans l’exercice de son métier.

Ses affaires n’étaient guère florissantes. Elle avait créé un institut de formation de coaches, qu’elle n’arrivait pas à faire démarrer, l’argent lui brulait les doigts et elle était fortement endettée. Tout cela faisait peser un poids énorme sur sa relation de couple, qui était aussi en grande difficulté.

Elle m’a demandé de la suivre, pour l’aider à y voir plus clair et remettre de l’ordre dans sa vie à tous les niveaux. Et nous avons fait quelques séances. Elle a commencé à y voir plus clair, mais sa situation financière s’est encore aggravée. Elle a dû renoncer à exercer, a fermé son institut qui n’avait pas décollé de terre. Elle est retournée dans son premier métier pour essayer de payer ses dettes. Elle a rompu avec son ami. Elle était au fond du trou.

Touchée par son histoire, et sa détresse, j’ai accepté de continuer à travailler avec elle, et de faire des séances gratuites, je voulais tellement l’aider à s’en sortir. Je me rendais disponible rapidement pour elle, je me déplaçais chez elle pour les séances, tout cela sans être payée. Ben oui, elle n’avait plus d’argent, et des dettes par-dessus la tête. Elle avait tellement besoin d’aide !

Et je me disais que je pouvais me le permettre, mon business allait bien, et c’était tellement noble ce que je faisais. Je ne gagnais pas d’argent, mais je me sentais bien !

Grâce à notre travail assez intensif, cette cliente a commencé à aller mieux et à reconstruire sa vie. Elle a rencontré quelqu’un d’autre, elle a obtenu un CDI. Elle a entamé une procédure de faillite personnelle qui a abouti favorablement (ses dettes ont été annulées)

Et puis, plus de nouvelles. Vous connaissez l’adage, pas de nouvelles bonne nouvelles ! Et je ne m’en suis pas offusqué, je sais que tout le monde est très occupé, moi la première.

Quelques mois ont passé sans un mot, et voilà qu’elle me recontacte par SMS pour me demander si je fais toujours des séances individuelles, je réponds que oui, on peut en discuter.

Elle me laisse alors un message en me donnant ses prochaines dates de dispo, en précisant qu’il faudrait que ça se passe entre midi et deux, chez elle, à environ 30 kilomètres de chez moi.

J’ai une double réaction en écoutant ce message : soulagement et incrédulité.

Soulagement de n’avoir pas pu prendre cet appel car j’étais en RV. Parce que franchement, cueillie à froid comme cela, je ne sais pas ce que j’aurais répondu. Peut-être me serais-je laissé attendrir, et aurais-je une nouvelle fois enfourché le blanc destrier du Sauveur, pour accourir à son secours… Parce que ça, je sais bien le faire !

Incrédulité en même temps. Comment peut ont avoir un tel culot ?

Si je résume, elle me siffle et j’accours. Non seulement je me déplace, mais en plus je prends en charge les frais de déplacement, à l’horaire qui lui convient, la pause de midi, ce qui veut dire que je ne déjeune pas ? Très mauvaise idée, si on me prive de manger, « moi pas content » comme disait ma fille quand elle était petite.

Je suis ok pour me rendre chez les clients quand ils le demandent, c’est ma culture de formatrice consultante en entreprise qui veut ça. Mais quand je me déplace pour une demi-journée ou une séance de deux heures, j’aime coupler ce déplacement avec d’autre RV notamment des déjeuners d’affaire ou avec mes amies. Mais là, pas moyen, elle me bloque sur le créneau.

Pas bon. Pas bon du tout. La fumée commence à me sortir des naseaux. Mais quel culot, comment ose-t-elle ? Elle se moque de moi ou quoi ?

Et là, je m’arrête, je respire, et je réfléchis. Et je me souviens de ce que j’enseigne à mes clients, en groupe ou en individuel.

Les gens ne se comportent pas mal avec nous.

Quoi ? Non mais, elle a encore pété un plomb Sylvie là, ou quoi ?

Non, pas encore. Laissez-moi vous expliquer ce que je veux dire.

En fait, nous leur avons appris comment ils pouvaient nous traiter en les laissant faire ou dire, en ne disant pas NON, en ne mettant pas les limites, bref en les encourageant. Inconsciemment, je vous l’accorde, mais le résultat est le même.

Et d'ailleurs, entre nous, ils auraient tort de s'en priver puisque ça passe. Ben oui, quoi.

Et franchement, entre vous et moi, bien souvent, ils ne réalisent même pas qu'ils le font. Non je ne dis pas qu’ils ont raison et qu’il faut tendre l’autre joue et les laisser faire. Pas du tout. Mais ils sont tellement habitués.

Vous pouvez penser qu'ils devraient s'en rendre compte, oui certes, mais la réalité est qu'ils ne le voient pas... Et cela ne sert à rien de discuter avec la réalité, elle ne répond pas ! Personnellement, j’ai essayé bien des fois, mais c’est ce qu’on appelle un dialogue de sourds !

Il n'y a pas de faute de part ou d'autre, mais c'est de notre responsabilité de changer cela.

Et donc, en me référant ces sages principes, je réalise que sa façon de se comporter est « normale » : c’est ce que je lui ai appris, en me rendant disponible pour elle, en ne la faisant pas payer même une somme symbolique, en me pliant à ses demandes, voire même en en « redemandant ». Bon d’accord, je n’en suis pas fière, mais voilà quoi…

Dans sa vision du monde, c’est légitime qu’elle continue à jouer selon ces règles que j’ai fixées en quelque sorte. Ou que je l’ai laissée fixer sans protester. Peu importe en fait.

Suis-je distraite, je ne lui avais pas encore dit que j’avais changé de jeu ! Bon, vu qu’elle ne donnait pas de nouvelles, c’était compliqué ! Je n’allais pas faire une circulaire à tous mes clients en leur disant : « Bonjour, vous n’allez peut être pas le croire, mais je ne suis plus un Sauveur ! Marrant non ? »

Et puisque j’en étais à l’introspection honnête, j’ai réalisé aussi que je l’ai fait certes parce que je pensais sincèrement pouvoir l’aider, mais ce n’était pas complètement désintéressé.

Oh, non, pas moi quand même ?

De par ses activités de coaching, elle connaissait beaucoup de monde, je me suis dit qu’elle parlerait sûrement de moi à son réseau, en vantant mes mérites, et mon efficacité, et que j’aurais maintes demandes, et que de ce fait je récupérerais ces séances gratuites en facturant plein pot à tous les clients qu’elle allait m’envoyer.

Très mauvais calcul, la seule cliente qu’elle m’ait trouvée était un des ses amies, qui était aussi fauchée et endettée qu’elle, donc pas de paiement là non plus… Voilà voilà… C’est ce qui s’appelle avoir tout faux, non ?

Mais ça c’était avant.

Au moment où elle m’a laissé le fameux message, j’avais beaucoup travaillé mon statut de Sauveur, que j’avais en fait envoyé à la retraite, cultiver des roses et des tulipes.

Je lui ai donc répondu par mail le soir même, en lui exposant ma nouvelle façon de travailler, et je lui ai fait une proposition d’un package de séances, ainsi que de mes conditions.

Mes règles du jeu.

Et elle n’a pas répondu à mon mail. Étonnant non ?

Plus tard, elle a quand même fini par me dire qu’elle réfléchissait encore, que c’était une grosse somme d’argent pour elle. Sans blague ?

Et elle n’a plus donné de signe de vie. Je ne peux pas dire que cela m'ait attristée.

En fait, cela m'était égal. Parce que dans cette histoire, je me suis respectée et j’ai respecté ce qui était important pour moi.

J’ai aussi réalisé que si quelqu’un n’est pas disposé à investir dans son propre mieux être, ce n’est pas mon problème. Je ne peux pas aider quelqu’un qui attend que je fasse tout à sa place, ce n’est pas de l’aide, c’est de l’assistanat. Ce n’est pas le métier que j’ai choisi.

Pour ma part, j’ai investi beaucoup d’argent dans mon propre développement personnel. Je travaille régulièrement en coaching avec quelqu’un, ce qui non seulement m’a fait un bien fou, mais m’a permis de libérer et de nettoyer beaucoup de blocages.

Je continue à me former régulièrement, et aujourd’hui, je sais que ce que je fais a de la valeur, et j’ai compris que si je ne reconnaissais pas cette valeur moi-même, les autres n’accepteraient pas de la reconnaître, et donc ne voudraient pas payer le prix que je demande.

J’ai lu un post sur les réseaux sociaux l’autre jour qui disait en substance : j’ai mis des années à apprendre à faire ce que je fais en 30 minutes. Ce ne sont pas les minutes que vous payez, ce sont les années. Et cela m’a vraiment plu.

Donc aujourd’hui, je préfère ne pas travailler du tout avec quelqu’un plutôt que de le faire au rabais. Je préfère l’inconfort au ressentiment !

Mais bon, que voulez-vous, j’étais Sauveur, je devais sauver le monde. Quelle mission pourrie quand même...

Pourtant, c’était peu gratifiant, car les gens que l’on cherche à sauver ne sont même pas reconnaissants, ils ne sont jamais satisfaits et en exigent toujours plus. Et épuisant en plus. Alors merci mais non merci.

J’ai mis un peu de temps à le comprendre, mais j’ai bien compris. Car l’anecdote ci-dessus n’a pas été la seule de ce genre. En d’autres termes, mon Sauveur était têtu ! Mais il a fini par s’en aller. Et je ne le regrette pas du tout !

Et vous, Sauveur ou pas Sauveur ?

Dans mon prochain billet d’humeur, je vous propose de vous vous expliquer comment en sortir.